Soigner des patients à l’aide d’un violent poison peut sembler paradoxal. Pourtant, l’arsenic était déjà utilisé dans la Grèce antique pour traiter la toux, la lèpre ou encore la syphilis. Aujourd’hui, des chercheurs français1 viennent de montrer pourquoi l’arsenic est capable de traiter si efficacement la leucémie aiguë promyélocytaire, une forme grave de cancer du sang. Ces travaux, qui constituent un modèle de traitement ciblé du cancer sont parus dans l’édition du 13 juillet 2010 de la revue Cancer Cell2.
Les leucémies se traduisent par une prolifération de cellules malignes dans la moelle osseuse et le sang. Il en existe de très nombreuses formes, dont la leucémie aiguë promyélocytaire à l’évolution rapide, particulièrement grave, atteignant des sujets de tous âges (environ 100 nouveaux cas par an en France). Les cellules de la moelle osseuse de ces patients sont porteuses d’une anomalie spécifique de deux chromosomes ; celle-ci mène à la synthèse d’une oncoprotéine (une protéine commandée par un gène altéré et susceptible d’engendrer une tumeur) dite PML/RARA et permet la prolifération de cellules malignes.
L’incroyable efficacité du trioxyde d’arsenic (As2O3) dans le traitement des leucémies aiguës promyélocytaires a été mise en évidence en Chine dans les années 90. On sait aujourd’hui, notamment grâce à des travaux précédents de l’équipe de Hugues de Thé, que ce dérivé de l’arsenic induit de manière spécifique la dégradation de l’oncoprotéine PML/RARA et l’élimination des cellules souches leucémiques, en ciblant cette protéine. Il s’agit donc en quelque sorte de tuer les cellules souches cancéreuses en détruisant la protéine qui les fait vivre. Mais les mécanismes précis restaient mal compris, notamment le rôle exact d’un peptide, SUMO, qui se fixe sur la protéine anormale.
Modèle de thérapeutique ciblée
Hugues de Thé et son équipe ont montré que l’arsenic induisait un stress oxydant et la libération de radicaux libres favorisant la création de fortes liaisons (ponts disulfure) entre les protéines PML/RARA qui s’agglutinent alors les unes aux autres. L’apparition de ces liaisons favorise ensuite la fixation du peptide SUMO et déclenche la dégradation de l’oncoprotéine PML/RARA. Parallèlement, l’arsenic lui-même se fixe directement à l’oncoprotéine, ce qui renforce les interactions dans les agrégats et favorise aussi leur destruction. Ces résultats expliquent donc la spécificité d’action de l’arsenic dans la leucémie aiguë promyélocytaire.
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